Appelés à occuper de plus en plus de postes de travail, y compris dans le secteur des services, les robots devraient-ils être soumis à l’impôt? Le professeur Xavier Oberson livre ses réflexions à ce sujet lors de la leçon d’ouverture du semestre universitaire, le mardi 21 février.

(16/02/2017)

Le journal de l’UNIGE

Depuis que le cabinet d’avocats américain Baker­Hostetler l’a engagé pour éplucher la jurisprudence et analyser des montagnes de documents sur les faillites d’entreprises, Ross est devenu une star mondiale dans les milieux du barreau. Capable de parcourir 200 millions de pages d’argumentation juridique en trois secondes, ses performances défient toute concurrence. Mais Ross n’en a cure, puisque c’est un robot. Loin de pouvoir remplacer un humain en chair et en os pour plaider à la barre, lui et ses avatars se substituent de plus en plus efficacement aux humains pour effectuer des tâches d’assistance juridique. Le droit n’est pas le seul secteur affecté. Les robots de nouvelle génération, dopés à l’intelligence artificielle, sont de plus en plus utilisés en radiologie, dans les domaines de la comptabilité et de la finance. Dans un proche avenir, des véhicules sans chauffeur circuleront dans nos villes. Les robots ne se contentent donc plus de serrer des boulons dans des chaînes de montage mais remplacent hommes et femmes pour accomplir des tâches demandant des qualifications et une expérience très pointues dans le domaine des services. Aptes à prendre des décisions et à se corriger sur la base de l’expérience, ils sont sur le point de devenir un nouveau type d’acteurs de la société. Avocat et professeur à la Faculté de droit, le fiscaliste Xavier Oberson a été un des premiers à étudier cette question en l’abordant sous l’angle de sa spécialité. Taxer les robots? L’idée est moins saugrenue qu’il n’y paraît. Le vainqueur de la primaire du Parti socialiste en France, Benoît Hamon, l’a intégrée dans son programme de candidature et, le 12 janvier dernier, la commission juridique du Parlement européen l’a évoquée dans un rapport sur la robotique en suggérant la création d’un statut de «personne électronique» (lire ci-contre). Xavier Oberson présentera, quant à lui, ses réflexions à ce sujet lors de la leçon d’ouverture du semestre universitaire, le 21 février à Uni Dufour. Entretien

Pourquoi faudrait-il taxer les robots?

Xavier Oberson: Ce n’est pas la première fois qu’un développement technologique conduit à des changements majeurs de société et bouleverse le marché de l’emploi. La plupart des économistes s’accordent d’ailleurs à dire que ces développements n’entraînent habituellement pas de pertes d’emplois mais les déplacent, en créant de nouveaux besoins. Avec l’intelligence artificielle, l’objectif est toutefois de se rapprocher du cerveau humain et de développer des machines capables de raisonner et d’apprendre par elles-mêmes. Les robots seront par conséquent amenés à remplacer les êtres humains dans des domaines d’activité considérés jusqu’ici comme à l’abri de ce genre de développement. Cela pourrait entraîner des pertes d’emplois d’une ampleur potentiellement massive, ce que tendent à montrer des études très sérieuses.

Quelles en seraient les conséquences?

Cela pourrait avoir un double effet négatif. D’une part, nous aurons des pertes de recettes fiscales pour l’Etat et par conséquent un problème pour financer les infrastructures et les assurances sociales, puisque ces robots vont remplacer des hommes et des femmes qui touchaient des salaires soumis à l’impôt et aux cotisations. D’autre part, le besoin de financer l’assurance chômage va croître avec le nombre de personnes se retrouvant sans emploi. La taxe robot permettrait de compenser ces effets négatifs.

Concrètement, comment cet impôt serait-il perçu?

Dans un premier temps, il serait à la charge des entreprises qui utilisent des robots. C’est un domaine entièrement nouveau, sur lequel il n’existe que très peu de recherches. Mais on dispose de quelques pistes de réflexion. On peut par exemple envisager un impôt sur le revenu, le robot effectuant une tâche normalement rémunérée. Il reviendrait aux entreprises de calculer un revenu théorique qui serait soumis à l’impôt. Une autre solution, évoquée par un syndicat espagnol, consiste à concevoir un mécanisme par le biais duquel les entreprises utilisant des robots verseraient uniquement des cotisations sociales, également sur la base d’un revenu théorique. Cette solution aurait l’avantage d’éviter une double imposition aux entreprises qui paient déjà un impôt sur les sociétés, ce qui est une des critiques potentielles adressées à la taxe robot. Pour éviter cet écueil, on pourrait également imaginer de percevoir une TVA sur les services où interviennent des robots. Celle-ci pourrait être progressive en fonction des capacités et du degré d’intervention du robot, à l’instar de la taxe perçue sur les véhicules, qui augmente en fonction de la cylindrée.

La taxe robot n’aurait-elle pas aussi pour effet de dissuader les entreprises d’utiliser des robots?

L’idée n’est pas de freiner l’innovation, au contraire. Je suis entièrement favorable à l’utilisation des robots. Mais il faut se préparer à l’éventualité d’une perte massive d’emplois, car une fois que le mécanisme sera enclenché et la robotisation généralisée, il ne sera plus possible de marquer une pause pour réfléchir. La mise en place d’une telle taxation demande une importante coordination internationale… Ce sera effectivement une des grosses difficultés. Les robots sont relativement faciles à déplacer et il pourrait très vite se créer des paradis fiscaux où toutes les entreprises concentreraient leurs machines intelligentes. On voit aujourd’hui toute la difficulté à mettre en place une taxe sur les transactions financières. Cela prendra donc du temps, et c’est précisément pour cette raison qu’il importe de ne pas attendre pour lancer la réflexion.