L’avocat genevois vient d’être nommé à la présidence de la fondation du Centre d’art contemporain. Visite à un expert du droit et du rock’n’roll.

(12.10.2016)

Tribune de Genève

C’est la dernière des choses que l’on s’attend à trouver dans le bureau d’un éminent fiscaliste. A côté de la cheminée, sous le portrait de Keith Richards par Ron Wood et le diplôme de Harvard, trône une guitare électrique. Une Paul Reed Smith, nous apprend le maître des lieux en ouvrant avec ferveur un étui qui révèle un second instrument en bois blond, dont le manche est orné d’oiseaux en nacre: «Regardez-moi ce bijou, c’est le modèle Carlos Santana. Je l’ai depuis 2004.»

Dans la bibliothèque, d’épais volumes de jurisprudence du Tribunal fédéral fraient avec des ouvrages traitant de guitaristes célèbres et un peu de bande dessinée. Aux murs, disques d’or et toiles d’artistes actuels disent l’appétit érudit de Me Oberson pour toutes les formes de culture. Inclination qui lui vaut d’avoir été nouvellement choisi pour succéder à Pierre Keller à la présidence du conseil de fondation du Centre d’art contemporain Genève (CAC). «J’étais très actif dans la musique et la philanthropie, mais j’aime tout ce qui est contemporain, explique-t-il avec un enthousiasme presque enfantin. C’est un nouveau défi formidable. Moi qui suis très intuitif, je n’ai pas hésité une seconde.»

Costume et vie clandestine

La tête dans les lois et l’art au cœur: voilà qui pourrait, fort succinctement, résumer l’existence de Xavier Oberson, qui a vu le jour à Genève en 1961. Professeur de droit fiscal à l’Université, avocat associé en l’étude Oberson Abels, il mène une brillante carrière en costume gris, engageant son élégant soulier sur le chemin académique et juridique que son père, Raoul, a tracé avant lui.

Mais ce spécialiste des conventions de double imposition mène une autre vie, longtemps tenue clandestine: guitariste hors pair, il tombe la veste pour se produire sur scène, notamment avec son groupe Out of law, qu’il a fondé avec l’avocat d’affaires et saxophoniste Bénédict Fontanet. En 2015 au Montreux Jazz, l’amateur éclairé a même eu le bonheur d’être rejoint au micro par Andy Vargas, le chanteur de Carlos Santana, pour un bœuf furieux et virtuose.

La minute frime

Longtemps, Xavier Oberson, entré au Conservatoire à l’âge de 4 ans pour y entamer de longues études classiques de hautbois puis de guitare, a fait mystère de ses activités mélomanes, compartimentant sévèrement ses deux univers. Après avoir hésité à se lancer professionnellement dans la musique, il poursuit de solides études de droit. Doctorat à Genève, master à la Harvard Law School en 1992 – «un an après Barack Obama, c’est ma minute frime, même si je ne l’ai jamais rencontré», s’amuse ce vrai modeste – puis professorat au sein de l’alma mater de sa ville natale.

Durant cette période, il gratte incognito, vénérant en secret tous les grands, de Frank Zappa à Joe Satriani, en passant par Steve Vai et John McLaughlin. «Avec le recul, je me rends compte que c’était un peu ridicule, sourit-il. Pour moi, il y avait les avocats, les banquiers et les profs d’uni d’un côté, et les rockers de l’autre. Question d’éducation sans doute. Et tout d’un coup, lors d’une soirée, j’ai fait mon coming out musical.» Depuis, le docte homme de loi vit au grand jour sa passion débridée pour la six-cordes. «Je joue absolument tous les jours. Je possède même une guitare de voyage, le meilleur achat que j’ai fait depuis vingt ans!»

«Je suis un hyperactif»

Une ardeur jusqu’au-boutiste que Me Oberson, père de quatre enfants, cultive dans tous les domaines. Curieux de tout, il affectionne les romans asiatiques et la littérature sud-américaine; s’attelle actuellement à monter un nouveau groupe de latino-rock; et n’a de cesse de faire coïncider la face et le revers de sa propre médaille, cherchant le point de rencontre entre le droit et le rock’n’roll. Même sa parole se déverse à haut débit, afin de suivre le fil d’une pensée qu’on devine excessivement leste. «Je suis un hyperactif, tout le temps en piste, c’est un peu le problème, confesse-t-il en vous examinant, derrière ses fines lunettes, de son regard clair et pénétrant d’ancien timide. Si vous voulez me rendre malheureux, proposez-moi une soirée télé!»

Dans l’idée de se consacrer au mieux à ses nouvelles missions au Centre d’art contemporain, le fiscaliste a choisi de «se recentrer» un soupçon, en démissionnant de certains autres conseils de fondation. «Maintenant, je vais aller m’imprégner d’art contemporain, à Genève lors de la prochaine Biennale de l’image en mouvement (ndlr: en novembre) ou à Art Basel à Miami.» Comprenez que Xavier Oberson ne s’investira pas à moitié. Parce qu’il ne sait pas faire autrement.

(TDG)

Irène Languin